Jean-Corentin Carré : le plus jeune poilu de la première guerre mondiale

11 novembre : Armistice de la Grande Guerre de 1914-1918

Jean-Corentin Carré fut sans doute l’un des plus jeunes soldats de la Grande Guerre . (1914-1918).

Jean-Corentin Carré

Jean Corentin Carré est né au Faouët le 9 janvier 1900 dans une famille de 9 enfants. Lorsque la guerre éclate, il a 14 ans. A 15 ans, il annonce à ses parents qu’il veut partir pour l’Amérique latine, quitte le Morbihan mais part s’engager sous une fausse identité à Pau. Il prend le nom d’Auguste Duthoy, né le 10 avril 1897 à Rumilly dans les Ardennes. Il est alors incorporé au 410e RI de Rennes. Dès 1915, il combat dans les tranchées. Il écrit un journal, qui raconte ses combats.

Voici quelques extraits :

En cas de malheur, je désire que ces notes prises pendant mon séjour à l’armée soient transmises à mes parents qui garderont ce cahier en souvenir de leur gosse, tombé au champ d’honneur. Mourir pour la patrie c’est le sort plus beau.

5 Novembre 1915

La compagnie se rassemblait pour la relève des tranchées. Nous nous mettons en route vers 6 heures . Ma compagnie s’enfonce dans la nuit. Après avoir parcouru une quinzaine de kilomètres, nous passons dans un village en ruines, à la lueur des fusées éclairantes lancées aux tranchées. Nous apercevons les pans de murs qui restent de l’église. Un nom circule (Mesnil-les Hurlus) de terrible réputation. Nous nous engageons dans les boyaux et après une bonne heure de marche nous arrivons en troisième ligne . C’est là notre emplacement de combat, nous relevons un autre régiment dont les hommes me semblent bien fatigués. Mon camarade descend dans un trou creusé sous terre, c’est notre gourbi. Là aussi nous sommes bien serrés, nous ne pouvons nous allonger, le gourbi ne mesurant pas plus d’un mètre de large. Les crampes commencent à me saisir et je suis très content d’être appelé pour aller prendre mon tour de garde. Je suis isolé dans la tranchée. Je me trouve à coté de cadavres qui dégagent une odeur insupportable, les rats grignotent ce qui restent autour des os. Brrrrrr ! A quand mon tour ? Une fusillade arrête mes réflexions, une rencontre de patrouille sans doute. Je m ‘énerve, je voudrais être de la patrouille qui se bat, je voudrais utiliser ma baïonnette contre ces assassins. La fusillade s’étaient progressivement , tout rentre dans le silence, les fusées lancées des premières lignes continuent à éclairer la plaine qui représente un vaste champ labouré et couvert de débris humains [… ] Un obus vient de tomber juste à l’entrée de l’abri, la bouchant complètement. Les mottes de terre sont venues frapper les plus proches dormeurs, un d’entre eux est enseveli jusqu’au cou et c’est lui qui a appelé au secours. Personne n’est blessé, nous sommes tous abrutis par l’explosion. Avec nos outils, nous déterrons d’abord notre camarade et ensuite nous débouchons l’entrée de l’abri.[…]

5 décembre 1915

Oh ! cette relève. Dans l’eau boueuse, nous nous acheminons lentement vers le Mesnil, nous nageons dans les boyaux. J’ai de l’eau jusqu’au ventre, de l’eau froide qui me glace et trempe tous mes effets. Par endroit, cette eau bourbeuse est transformée en boue collante. Quelques camarades n’ayant plus la force d’avancer, nous les poussons avec la crosse de nos fusils. Derrière moi un petit camarade pose son pied dans un ex puisard, tombe en poussant un cri, il est aussitôt relevé, 2minutes de plus et il était étouffé par la vase. Enfin, après 3 heures d’effort pour parcourir ces 3 kilomètres, nous arrivons à Mesnil-les-Hurlus. Deux sections ne sont pas encore arrivées, elles arrivent au bout d’une demie heure pendant laquelle, transi de froid, je fais de tristes réflexions. Pendant même un moment j’ai regretté de m’être engagé, c’est le seul du reste pendant ces 22 mois de front, l’amour propre et mon courage m’ont retenu.[…]

6 Novembre 1915

Je suis relevé à deux heures du matin et je réintègre mon gourbi, où, serré contre les autres je ne tarderai pas à me réchauffer. Boum, boum boum ! tiens c’est le réveil en fanfare, ce n’est pourtant pas le 14 juillet. Il faudra mon petit, que tu t’y habitues à cette musique. Ils tombent rudement près les projectiles et il y en a de tous les calibres ; Boum boum.[…]

31 mai 1916

Nous repartons pour le champ de bataille, un adieu aux êtres chers avant d’entrer dans la tuerie. Nous passons Belleville, la ferme de la folie , nous allons prendre position sur la côte 321. A droite, nous avons la ferme de Théaumont, à gauche la côte du Poivre, derrière, la côte de froide terre, et entre cette côte et la côte 321, existe le ravin de la mort. Ce sinistre nom est bien mérité, il est couvert de tombes ce ravin. Les hommes non enterrés ou déterrés par les obus qui ne respectent pas le dernier repos, s’offrent, horribles, à notre vue. […]

1er juin 1916

Ce soir, tir de barrage déclenché sur nos lignes. C’est indescriptible. partout, à droite, à gauche et à quelques mètres seulement, tombent sans discontinuer pendant une heure, des projectiles de tous calibres. Je reçois des mottes de terre dans la figure, mon casque est percé par des éclats d’obus. A coté de moi, 3 camarades sont blessés et un tué. Les batteries françaises ne restent pas inactives, les obus de 75 hurlent au-dessus de nos têtes. Enfin le duel se ralentit, je suis abruti et étonné d’être vivant. Les pertes dans la section sont sérieuses.[…]

11 juin 1916

Attaque du 410e. . Nous prenons un poste avancé de l’ennemi . Pertes assez sérieuses. Les boches contre-attaquent, sans succès. Je suis blessé légèrement aux deux jambes mais ce n’est pas le moment des lâchetés, je refuse de me faire évacuer.

En décembre 1916, Jean Corentin Carré, à l’aube de ses 17 ans, décide de révéler sa véritable identité à son colonel. Cette lettre va être ensuite publiée dans « Le Petit Parisien ».

Lettre de J-C Carré au Monsieur le Colonel Treillard , le 29 décembre1916

  Mon colonel,
        Je vous prie de m’excuser de ne pas employer la voie hiérarchique pour vous écrire, c’est à titre personnel que je m’adresse à vous. Mon identité à votre régiment est : Sergent Duthoy Auguste, né à Rumigny (Ardennes) le 10 avril 1897, engagé pour la durée de la guerre, à Pau, le 27 avril 1915 et cité à l’ordre du corps d’armée le 27 novembre dernier.
Cette identité est fausse : Mon nom est Carré jean. Je suis né à Le Faouët (Morbihan), le 9 janvier 1900, je suis donc de la classe 20 et non de la classe 17.
        Le 27 avril 1915, jour où je me suis engagé, j’avais 15 ans. Il fallait avoir 17 ans au moins pour être accepté par le recrutement, je savais que les réfugiés des pays envahis pouvaient s’engager sans papier beaucoup d’entre eux n’en ayant pas ; alors j’ai inventé cette fausse identité que je porte depuis deux ans et ainsi réussi à venir au front pour faire mon devoir avec tous les soldats français.
        Mon père et ma mère, paysans bretons ayant trois fils sous les drapeaux, se sont rendus à mes raisons et m’ont laissé libre. J’aurais 17 ans le 9 janvier prochain. C’est pourquoi je vous écris pour vous demander, s’il ne serait pas possible, ayant l’âge réglementaire, de reprendre mon véritable nom. J’ose m’adresser à vous parce que s’il n’était pas possible de changer d’identité sans quitter le front, je préférerais rester ardennais jusqu’à la fin de la guerre, et sans que mes chefs directs sachent la vérité. Je ne suis pas plus patriote qu’un autre ; mais je considère qu’un français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste à l’arrière.
          Encore une fois je vous prie de m’excuser de ne pas employer la voie hiérarchique et vous demande d'être assez aimable de me répondre directement.
        Mon Colonel, je suis sous vos ordres, le serviteur de la France
        Duthoy, sergent 410 Régiment d'infanterie, 9ème compagnie.

Le 20 juin 1917, Jean Corentin Carré reçoit une réponse favorable de mutation dans l’aviation. Le 9 septembre 1917, il reçoit son brevet de pilotage et il est affecté à la SO 229 sur la base aérienne de Lemmes dans la Meuse, qui est mise à disposition de la deuxième armée. Cette escadrille effectue des missions d’observation, de photographie et de réglage dans le secteur de Verdun.

Le 19 Mars 1918, il effectue une mission d’observation avec le mitrailleur Perrin. Selon la version officielle, il est attaqué par trois avions allemands. Il se défend vigoureusement mais il est abattu. Il est transporté grièvement blessé à l’hôpital de Souilly où il décède le 22 mars 1918. Il est alors inhumé sur place, puis ses restes sont transférés au cimetière militaire de Rembercourt aux pots, tombe 1510.

Aucun allemand ne revendique la victoire aérienne contre Jean Corentin Carré. Selon certaines sources, il aurait été abattu par la DCA allemande, la Flak-batterie 128,Vfw Seitz

Article rédigé par J-Y Le Laing, professeur d’histoire-Géographie au Collège Jean-Corentin Carré. Le Collège a été créé en 1977

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